18/12/2013 - 14:28
PARIS (SIWEL) — Jacques Simon, historien né en Algérie, est un ancien militant du Mouvement national algérien. En 1963, il observe médusé l’orientation idéologique et politique de l’Algérie indépendante qui s'achemine vers un arabo-islamisme violent et rétrograde. Durant les années 1980, il soutient le printemps berbère et dirige avec Ali André Mécili le journal « Libre Algérie ». Jacques Simon nous livre sa lecture du cheminement du combat kabyle à travers le discours de Ferhat Mehenni à la lumière de ses trois essais : Algérie : la question Kabyle, le siècle identitaire ou la fin de Etats postcoloniaux et enfin, Afrique : le casse-tête français ; mais aussi à la lumière de sa propre expérience d’ancien militant engagé pour l’Algérie durant la colonisation française, puis pour les peuples berbères d’Afrique du Nord et en particulier les kabyles avec lesquels il a partagé un fervent engagement pour la liberté. Nous publions ci-après l’article transmis à notre rédaction.
FERHAT MEHENNI NOUS PARLE DE LA KABYLIE
Au Mali, le cirque électoral terminé, il reste qu’aucun des problèmes ayant justifié l’opération Serval n’a été réalisé : la construction d’un État démocratique et viable, un plan de développement économique, social et culturel, la sécurité du pays et l’unification du Mali, mission impossible, car l’Azawad deviendra, de façon inéluctable un État indépendant. Pour prouver à ses adversaires que la procrastination qu’on lui reproche dans les affaires intérieures est malveillante, François Hollande s’est engagé, sabre au clair, avec une visibilité de six mois et des moyens dérisoires, dans une aventure périlleuse en Centrafrique.
L’objectif proclamé de cette « grande et belle mission » est de « réconcilier un peuple » déchiré par les violences ethniques et religieuses, reconstruire un État en miettes et stabiliser la région. L’objectif camouflé est de défendre les intérêts économiques et financiers de la France qui seraient garantis par le maintien des États artificiels dans son ancien empire africain. Il en est ainsi de l’Algérie dotée par le général de Gaulle du Sahara pétrolier (il existait jusque-là un ministère français du Sahara)1 qui deviendra le ciment du Pacte franco-algérien pour le maintien du statu quo.
L’enlisement annoncé de la France dans les sables mouvants de la Centrafrique et l’interminable décomposition de l’État mafieux algérien ont sonné le glas de cette construction néocoloniale et redonné vigueur à la lutte des peuples pour former des entités homogènes dans des cadres indépendants. C’est le cas des peuples de l’Afrique du Nord et en particulier celui du peuple de la Kabylie.
Algérie : La question kabyle
Exposée de façon claire et pertinente par Ferhat Mehenni, elle est fondée sur un cadre géographique inchangé depuis l’Antiquité, une histoire et une civilisation de longue durée et son aptitude à épouser son siècle2. Cette évolution est toutefois contrariée par l’action conjuguée des États français et algérien qui entendent congeler le cadre néocolonial existant, en nouant un Pacte pour neutraliser le peuple rebelle, contestataire et subversif de la Kabylie.
C’est ainsi qu’en 1959-1960, quand s’ouvrent les négociations entre Paris et le GPRA, le plan Challe concentre ses coups sur la willaya III (opérations Jumelles, Rubis et Turquoise). Le relais est pris par Boumediene dès l’entrée de l’ANP en Algérie en 1962, en 1963 et jusqu’en 1978.
Dans ce livre plusieurs points ont été traités : la nature de l’État militaro policier et arabo-islamique algérien, le mécanisme de sa préservation en suscitant l’opposition artificielle entre le RCD et le FFS pour anesthésier la volonté d’émancipation du peuple opprimé de Kabylie.
Il est bien montré que la cohésion de l’État DRS détenteur de la rente pétrolière n’est possible que par la marginalisation de la Kabylie, la militarisation du régime, la confiscation des libertés démocratiques, le contrôle des médias, la caporalisation des syndicats, un FLN subventionné dominant une Assemblée introuvable, l’arabisation et l’islamisation de la société. Cette politique n’a pu exister qu’avec la complicité de l’État français, de ses idéologues intéressés et des idiots utiles défenseurs du Pacte.
Ils redoutent tous que la Kabylie suive l’exemple de la Prusse et du royaume du Piémont qui furent les acteurs de l’unité allemande et italienne. Indépendante, la Kabylie dynamiterait l’ordre en place et donnerait une impulsion à la formation d’une Afrique du Nord unifiée. L’auteur écrit : « Personnellement je souhaite vivement la construction de l’unité nord-africaine, mais avec la Kabylie comme partenaire à part entière ayant comme tous les autres membres son mot à dire sur les orientations politiques, économiques et socioculturelles du sous-continent » (p.128)
L’an I de la rébellion kabyle
Pour Ferhat Mehenni, la révélation inacceptable de ce mécanisme d’oppression a surgi avec éclat pendant la terrible répression d’avril 2001 sans provoquer une réaction du reste du pays. 2
« C’est aujourd’hui, me disais-je, que la Kabylie a besoin de la solidarité de tous les Algériens. Si elle ne vient pas maintenant, c’est qu’elle ne viendra jamais. La solution de l’autonomie m’apparut alors comme l’unique issue raisonnable pour mettre nos enfants à l’abri de la violence armée de l’État. » (p.30).
Première expression significative de l’identité kabyle, avril 2001 marque la rupture consciente entre ce peuple opprimé et l’État totalitaire algérien. Le saut qualitatif est notable entre la manifestation de colère du « printemps berbère » d’avril 1980 et l’engagement déterminé de tout un peuple pour arracher son émancipation totale.
Plusieurs points restent à développer : les institutions futures, l’économie, le programme démocratique, la laïcité de l’école et de l’État et le cadre géopolitique dans lequel la Kabylie doit s’inscrire : Tamazgha ? l’Union de la Méditerranée ? l’Occident méditerranéen ?3
D’autres points doivent être précisés, relatifs à l’histoire de l’immigration algérienne en France et en particulier celle de l’Étoile Nord-Africaine construite et dirigée majoritairement par les Kabyles inscrits dans l’appareil de production moderne et membres de la CGT. Le rôle social et politique de l’Étoile fut remarquable après 1934 : quand la crise économique mondiale gagne la France et plonge l’Europe dans la barbarie. L’Étoile luttera avec énergie contre l’exploitation capitaliste, le chômage et la misère, le colonialisme, les ligues d’extrême droite, l’antisémitisme, le fascisme, le nazisme et le franquisme. Il adhérera au Front Populaire et restera toujours sur les valeurs du mouvement ouvrier 4.
L’Étoile associait dans le combat qu’elle menait pour les libertés dans le pays d’accueil avec celui pour se constituer en nation souveraine à travers un processus constituant sur le modèle de la Révolution française de 1789.
Dans le débat qui s’ouvre maintenant de façon publique, on peut nourrir sa réflexion avec trois exemples : l’action des Kabyles comme la force structurante du nationalisme algérien avec l’Étoile, l’adoption massive de la Constituante par le congrès des AML de mars 1945 et la transformation des élections municipales de 1947 en un référendum sur la Constituante, lui aussi plébiscité 5.
Le siècle identitaire
Dans ce livre préfacé par le politologue Roger Kaplan6, Ferhat Mehenni élargit le champ de sa réflexion en dressant l’acte de décès des États postcoloniaux. Il inscrit ensuite le combat du peuple de Kabylie dans le mouvement révolutionnaire des peuples pour briser tous les carcans et se constituer en nations souveraines (L’Écosse, la Catalogne...) Défenseur de la laïcité, le président du gouvernement provisoire de la Kabylie (GPK) invite l’Occident au réalisme sur l’héritage géopolitique colonial.
« Au lieu de soutenir les dictatures musulmanes au prétexte qu’elles professent un islam « modéré », les démocraties occidentales seraient plus sages de repérer les tensions et les folies qui se jouent derrière leur apparence ordonnée » (p. 52).
Afrique : le casse-tête français
Avec ce troisième livre préfacé par Ivan Rioufolbi[[7]b]i, l’auteur ne cherche plus à fournir un argumentaire pour établir la légitimité de la revendication identitaire kabyle, mais à s’engager dans une lutte contre le Pacte des deux brigands. Après un état des lieux des pays africains francophones, il est montré que la balkanisation de l’Afrique occidentale (AOF) et orientale (AEF) n’a pas engendré des États viables, du fait de l’intégration de populations hétéroclites dans des cadres artificiels.
Invitation est faite à la France si elle entend défendre ses intérêts et son prestige culturel auprès des populations africaines, à renoncer à ses interventions militaires quasi annuelles stériles et à rompre le Pacte. Revenant sur les relations entre la Kabylie et la France, il écrit : « Face à ses agressions multiformes, la Kabylie toujours un peu païenne, un peu chrétienne, juive par certaines origines, toujours musulmane à sa manière, pratique, comme au temps les plus reculés de son histoire, entre autres formes de résistance, sa laïcité en jurant « au nom de toutes les croyances » (p. 102)
En fin de livre, il est rappelé que les deux millions de Kabyles en France ont participé à la construction et à la défense de l’hexagone comme sur le modèle de l’assimilation différent de celui de l’intégration. Ils s’inscrivent ainsi sans la chaîne des immigrations européennes du XIXe siècle qui ont fait la France tout en restant attachés à « la patrie ancestrale ».
S’adressant à la France, Mehenni lui propose de s’appuyer sur les Kabyles pour défendre son identité, ses intérêts économiques sa Grandeur dans le monde et son prestige auprès des populations francophones africaines. Pour cela, elle devra déchirer le Pacte scélérat et mener avec son plus fidèle allié, un combat sans concession, [comme ce fut le cas avec l’Étoile, contre l’islamo fascisme]. La lutte que les Kabyles mèneront pour la défense de leur pays d’accueil sera associée à celle pour l’indépendance de leur « patrie ancestrale».
Conclusion : la question kabyle est devenue maintenant un problème de la vie politique intérieure, africaine, et internationale de la France. Tous les hommes épris de liberté soutiendront la marche du peuple kabyle pour son émancipation.
Notes
1. Treyer (C). Sahara 1956-1962. Les Belles lettres, 1966.
2. Mehenni (F). Algérie : la question kabyle. Michalon, 2004. Voir également Chaker (S). Berbères aujourd’hui, L’Harmattan, 1998, Guenoun (A). Chronologie du mouvement berbère, Casbah, 1999 ; Aït Kaki (M). De la question berbère au dilemme kabyle à l’aube du XXIè siècle , L’Harmattan, 2011 ; et l’immense thèse de Mahé Alain. Histoire de la Grande Kabylie, Bouchene, 2001.
3. Simon (J). L’Occident méditerranéen. L’Harmattan, 2013.
4. Simon (J). L’Étoile Nord-Africaine (1926-1937). L’Harmattan, 2003.
5. Kaddache (M). Histoire du nationalisme algérien. SNED, 1981.
6. Mehenni (F). Le siècle identitaire, Michalon, 2010.
7. Mehenni (F). Afrique : le casse-tête français. La France va-t-elle perdre l’Afrique ?, Ed. de Passy, 2013.
Jacques Simon
18 décembre 2013
SIWEL181428 DEC 13
Vous trouverez plusieurs publication de l'auteur sur son site internet ci-dessous
En pdf, l'article de Jacques Simon : FERHAT MEHENNI NOUS PARLE DE LA KABYLIE