Lettre ouverte à Mr Benjamin Stora Professeur d’histoire à l’Université Paris 13 Paris France.
Par Abdennour Abdesselam.
Monsieur le professeur,
J’ai pratiquement lu l’ensemble de vos ouvrages se rapportant à l’histoire du mouvement national et de la guerre d’Algérie. Au fil de mes lectures je vous avouerai que j’ai noté une certaine frilosité que vous avez à citer les acteurs politiques issus du pays Kabyle ou même que vous les niez tout simplement. Je voudrai lever tout de suite et par anticipation toute forme de catégorisation spéculative que vous serez tenté de faire sur mes remarques parce que je suis kabyle et vous dis d’emblée que si je suis justement profondément kabyle je ne suis pas moins et avant tout profondément algérien. Nous Kabyles, nous célébrons tout le cheminement et l’évolution de la conscientisation nationale entrepris par tous nos hommes politiques quelque soit leur origine régionale. Cependant cela ne nous empêche pas d’apporter d’interpeler, de rééquilibrer et de contredire certaines conclusions hâtives, sournoises et tendancieuses de certains observateurs de la scène nationaliste algérienne teintées malheureusement et étonnement de préjugés connotés et vous en êtes un exemple.
Ainsi donc je relève tout au long de vos écrits une prise de position constante et subjective en faveur ou au détriment des uns et des autres des acteurs politiques algériens selon qu’ils soient arabophones ou berbérophones. Il est évident que vos commentaires tendancieux sur le sujet ne peuvent influencer ni même altérer nos rapports entre algériens.
Le point qui apparait le plus significatif de votre prise de position « volontariste » et qui est de la plus insupportable troncation de l’histoire est celle d’avoir qualifié de facto Messali Hadj comme étant le père du nationalisme algérien alors qu’il ne surviendra sur la scène nationaliste qu’une année après la création de l’Etoile Nord Africaine. La veille de la visite officielle en Algérie du président François Holland vous aviez même été invité à l’Elysée pour lui darder avec force insistance d’annoncer dans l’intérêt de la politique française en Algérie le fallacieux statut que vous avez choisi pour Messali.
Peut-on raisonnablement accepter ou même seulement comprendre qu’un historien de votre taille ait pu seulement et à ce point ignorer un pan entier de l’histoire du mouvement national algérien immédiatement après la première guerre mondiale. Comment avez-vous élidé que déjà en 1924 et après la dissolution de l’Union Inter-Coloniale des Ouvriers Nord-Africains et pour s’affranchir et ne plus dépendre de l’emprise du Parti Communiste Français de l’époque le nationaliste Imache Amar créa avec ses compagnons le 7 décembre 1924 à Paris après un regroupement de plus de 100.000 algériens une nouvelle organisation sociopolitique autonome sous le nom du Congrès des Ouvriers Nord Africains de la région Parisienne : Le C.O.N.A.1
Le C.O.N.A dirigé par Imache Amar réclame immédiatement l’indépendance de l’Algérie et la première motion votée à l’unanimité le jour même a été le soutient apporté à Abdelkrim Akhettab qui venait de créer la première république berbère du Rif Marocain alors en guerre contre la coalition militaire Espagnole et Française commandée conjointement par les capitaines Franco pour l’Espagne et Pétain pour la France. En ces temps Messali Hadj était méconnu des milieux politiques. Il était alors membre de la confrérie islamique : la Darqaouia affiliée à l’Association des Oulémas qui pour rappel revendiquait purement et simplement l’assimilation des algériens à la France coloniale1.
Vous auriez dû vous inspirer de l’expérience de vos aînés historiens français à l’image de Rollin de Marguerite, Charles Robert Agéron, René Jammes, Bernard Terhorst qui se sont bien gardés de faire dans le préférentiel aussi volontariste qu’hasardeux. Notez qu’à la création de l’Etoile Nord Africaine en 1926 et parce que sur ses 22 fondateurs 19 au moins étaient des kabyles que sont entre autres les: Imache Amar, Hadj Ali Abdelkader, Radjef Belkacem, Banouh, Si Djillani, Yahyaoui, Djeffal Mohamed qui a été élu comme premier président pour les deux premières années, ce qui fera dire à votre autre aîné historien Roger Letoumeau qu’on aurait mieux fait de l’appeler : « l’Etoile Kabyle ».1 Il est bien entendu que le mérite revient à tous ses 22 membres fondateurs. Messali n’ayant rejoint l’Etoile qu’une année après sa création. Il n’est donc même pas membre fondateur.
Que vous soyez devenu un des nombreux spécialistes à s’intéresser à l’histoire révolutionnaire de mon pays cela vaut tous les mérites mais votre métier d’historien cesse d’être en tant que tel dés lors que vous vous êtes laissé aller à des considérations extra-historiennes. Ainsi d’avoir attribué à Messali Hadj la paternité du mouvement national algérien vous entachez votre spécialité d’historien d’une grave atteinte à l’honnêteté intellectuelle, à l’équité et à la déontologie du métier. Je me pose la question de savoir à quel titre mais surtout à quel dessein vous êtes-vous permis de distribuer ce genre de qualificatifs trompeurs, fourbes et aussi surprenants que fantaisistes.
En cela, notez Monsieur Stora que nos hommes politiques ne sont pas comptables devant vous ni des élèves d’une classe sans fenêtres et dont vous seriez le maître. Ils le sont uniquement devant l’histoire et le peuple algérien auquel ils appartiennent tous.
Vous oubliez qu’un jour, quelque part, quelqu’un interrogera l’histoire et celle-ci répond par ses vérités. Ainsi en a été de l’ouvrage de Omar Carlier sur Imache Amar intitulé « Le cris du Révolté » et d’une thèse universitaire de Amar Ouerdane1 aux références très poussées et publiée se rapportant toujours à Amar Imache le véritable père spirituel du nationalisme algérien. C’est Amar Imache qui, dés la fin de la première guerre mondiale, a intellectualisé politiquement la prise de conscience nationaliste algérienne.
Loin est mon intention de contester à qui que ce soit de n’avoir pas été imprégné des idées nationalistes à un temps « t » de l’histoire y compris et à plus forte raison à Messali mais chacun doit être situé à sa juste place et dans son juste rôle le long de son parcours. En cela, la guerre d’Algérie a condamné votre « dauphin » et non moins criminel Messali qui a créé dés le déclenchement de la révolution, le 1er Novembre 1954, un mouvement contre révolutionnaire financé, équipé et lourdement armé par la France coloniale à savoir le M.N.A. auteur de nombreux assassinas de dignes militants et maquisards du FLN de 1954 et 1958 en Algérie et particulièrement dans l’émigration.
En revisitant le parcours de votre tristement célèbre Messali nous découvrons sans étonnement aucun et à la lumière des recherches faites par des historiens algériens les accointances secrètes et matérialistes qu’il entretenait et développait avec les différents services politiques de la France coloniale. Quelle amétrope recherche vous a-t-elle fait brouiller que déjà la création du P.P.A le 11 mars 1937 était destinée à enterrer définitivement l’Etoile Nord Africaine crainte par ses patrons du Front Populaire Français car elle reprenait dans sa plateforme issue du Congrès de Bruxelles tenu du 10 au 15 février 1927 la principale revendication non négociable du C.O.N.A : à savoir l’indépendance de l’Algérie. Mahfoudh Kaddache révèle dans «Histoire du nationalisme algérien » que « la position du PPA, lors de sa fondation paraît en retrait sur le programme de l’Etoile ». Dans un autre document il note à juste titre qu’« Avec L’Etoile Nord Africaine la revendication de l’indépendance n’est pas suggérée, elle est exprimée clairement ». Mais plus grave encore nous tenons de Fouad Soufi qui écrit dans « De l’Etoile Nord Africaine au PPA continuité ou rupture » cette interrogation combien lourde de sens : « N’assiste-t-on pas à la constitution d’un nouveau parti qui, parfois, s’oppose à l’ancien (c’est-à-dire l’Etoile) et souvent fonctionne par exclusions ou départs successifs ? ».
En effet les douteux agissements de Messali ont, au fil du temps, vidé le mouvement de ses hommes politiques compétents, loyaux, intègres mais surtout connus incorruptibles à l’image d’Imache Amar.
Non monsieur Benjamin Stora ! Messali n’est pas le père du nationalisme algérien et ce n’est certainement pas la préface que vous avez signé dans l’ouvrage d’Imache Amar intitulé « L’Algérie Au Carrefour » paru en 2012, où vous continuez même de cultiver l’amalgame sur le sujet, qui vous rachètera ou vous absoudra de votre mensonge grotesque dont les objectifs aujourd’hui en souterrains finiront certainement par être clarifiés un jour. Il est connu que le temps fait son œuvre.
Tizi Ouzou le 01 Novembre 2013
Abdennour Abdesselam.
—————————————————– 1 : Amar Ouerdane « La question berbère dans le mouvement national algérien 1926-1980. » Ed Epigraphe Dar El Ijtihad 1993.