RÉPRESSIONS ANTIKABYLES À TIZI-OUZOU
mai 6 2014
Photo prise par un militant anonyme lors de la manifestation du 20 avril / Siwel.info
Le 20 avril dernier, se déroulait la marche de commémoration des 34 ans du printemps berbère à Tizi-Ouzou, Algérie. Annoncée comme pacifique, cette manifestation annuelle s’est un fois de plus transformée en champ de bataille, opposant forces de l’ordre algériennes et manifestants kabyles. Les premières accusent le Mouvement d’Autodétermination de la Kabylie (MAK), principal organisateur, de ne pas détenir les autorisations nécessaires à ce rassemblement. Se soldant par une centaine de blessés, l’événement a eu lieu 3 jours après la réélection d’Abdelaziz Bouteflika, qui entame son quatrième mandat présidentiel avec un sens de la démocratie qui ne se dément pas au fil des ans.
Peu médiatisé sur place, encore moins à l’international, le silence éloquent qui a accompagné l’événement pose la question de l’intérêt des instances internationales quant à la parodie démocratique qui se joue en Algérie.
Rappelons les faits : les Kabyles ne sont pas un peuple arabe, et bon nombre d’entre eux perçoivent la fin de la colonisation française comme le début d’une autre forme de domination, celle d’un pouvoir dictatorial algérien raciste. En 1980, le « Printemps Berbère » amorce un mouvement de reconnaissance de leurs particularités, revendiqué face une idéologie arabo-islamique dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Plusieurs bains de sang plus tard, dont les 127 morts du Printemps Noir, le 20 avril 2001, leur volonté d’indépendance s’accroît, ne trouvant face à elle qu’indifférence ou répression violente. Cette année n’a pas échappé à la règle.
Saïd Doumane, membre fondateur de la 1ère ligue algérienne des droits de l’homme, m’a fait part de sa surprise quant à l’importance du « dispositif répressif » en place face à un événement pacifique : « Il y avait des centaines de CNS (Corps National de Sécurité) munis de boucliers, de matraques et de ceintures de bombes lacrymogènes », accompagnés par des « policiers en civil, trahis par le grésillement de leurs talkies walkies ». Confirmant la version des organisateurs de la marche, il affirme que les premiers incidents ont éclaté vers 11 heures, quand les policiers en civil ont provoqué une émeute en jetant des pierres sur la foule. Très vite, de jeunes manifestants ont répliqué, et les émeutes se sont propagées dans les quartiers avoisinants.
Photo : Mohand Azouz / El Watan
Bouaziz Ait-Chebib, président du MAK, s’est attardé sur les dommages de cette émeute : « Sans l’intervention des militants du MAK qui l’ont secourue, protégée et transférée à l’hôpital, hors d’atteinte des policiers algériens, une femme enceinte aurait été lynchée. Plusieurs jeunes kabyles ont également été victimes d’un véritable acharnement de la part des brigades de répression ». Au moment de l’interview, son organisation comptait une centaines de blessés : « Le cas le plus grave est celui du jeune lycéen, Lounis Aliouat, qui a perdu un œil suite au tir d’une balle en caoutchouc. Les autres blessés sont maintenant hors de danger, y compris le jeune homme qui a été traîné inconscient sur des dizaines de mètres et battu par ces terroristes en uniforme. »
Dès lors, comment expliquer que de tels évènements prennent place à peine trois jours après la réélection de Bouteflika, au risque de renforcer son image de dictateur ? Interrogé sur ce sujet, Makhlouf Idri, Ministre et Porte Parole du Gouvernement Provisoire Kabyle en exil, a insisté sur le peu de considération du président algérien pour l’opinion internationale, et sur un talent certain pour la mise en scène : « Le pouvoir algérien surveille de très près la Kabylie. La quasi-totalité des journalistes étrangers venus couvrir la farce électorale de Bouteflika avait un visa qui expirait au plus tard le 20 avril. De cette manière, il était impossible pour la presse étrangère de voir et entendre le peuple kabyle manifester contre ce pouvoir. C'était bel et bien prémédité. » À titre de comparaison, on se souvient que la marche organisée le 15 avril par le RCD, un autre mouvement politique kabyle non-indépendantiste reconnu par l’état – alors que la presse étrangère était encore présente sur place –, n’avait elle donné lieu à aucune forme de répression.
Et Makhlouf Idri d’ajouter, en réponse à l’idée selon laquelle Bouteflika aurait souhaité faire payer aux kabyles leur boycotte du scrutin présidentiel : « La Kabylie n'a pas boycotté ce scrutin, cela signifierait qu'elle le légitime. La Kabylie ne reconnaît ni ce scrutin, ni le pouvoir algérien, que ce soit sa face visible ou son pendant militaire. »
Concernant le manque d’écho dont l’événement a pâti sur la scène internationale, le ministre répond « nous avons interpelé Ban Ki Moon au sujet des exactions des policiers et militaires algériens, le secrétaire Général de l'ONU ayant félicité Bouteflika pour le "déroulement en général paisible de l'élection présidentielle". Les diplomaties du monde libre s'arrêtent à la logique territoriale issue de la colonisation et ne veulent pas voir la réalité des peuples. »
Photo via
Ce n’est donc pas la première fois que les kabyles doivent faire face à un traitement spécial de la part des autorités. Ostracisés économiquement depuis longtemps, taxés à outrance, et violentés dès que possible, ils avancent en comptant les uns sur les autres, diaspora comprise, comme nous l’a fait comprendre le président du MAK. À 41 ans, ce diplômé en management et en sciences politiques est menacé en permanence : chez lui, par mail, par téléphone. Pour le contacter, il m’a fallu passer par plusieurs interlocuteurs, et utiliser quatre numéros de téléphone. « J'ai été interpellé plusieurs fois et j'ai même fait l’objet d’un mandat de perquisition. Pendant la marche réprimée du 20 avril, un officier de police a proféré des menaces directement à mon encontre en m'assurant qu'il allait me faire payer tout cela. Je salue les militants qui m’entourent et me protègent du mieux qu’ils peuvent, mais le MAK est un mouvement populaire qui n'a pas de budget pour s'assurer des gardes de corps. Nous sommes tous nos gardes du corps mutuels. »
Ces menaces, cependant, ne semblent pas avoir d’autres conséquences que celle de renforcer la détermination politique des Kabyles. C'est tout du moins ce que pense Saïd Doumane : « Le 20 avril fait désormais partie de la mémoire collective kabyle, et de celle d’autres populations berbères en Algérie, au Maroc, en Libye et dans la diaspora. Il sera sans nul doute commémoré en 2015, en 2016, etc. Ces futures manifestations seront-elles tolérées ou autorisées à l’avenir par les autorités gouvernementales et locales? Tout dépendra des évolutions politiques en cours et des rapports de force sur le terrain. À ce jour, en Algérie, le pouvoir en place reste fondamentalement hostile à la reconnaissance pleine et entière de l’identité berbère. Bouteflika a déclaré en 2004, toujours à Tizi-Ouzou, que tant qu’il serait président, la langue berbère ne serait jamais une langue officielle ! »
Les Kabyles n’ont probablement pas fini de faire parler d’eux. À condition que l’on parvienne à faire sortir médias et instances politiques de leur mutisme – un hashtag #SexyKabylie parviendra peut-être à les affoler.