De la fumée noire et du gaz lacrymogène dans le hall, le bruit des blocs de pierres sur les façades, des policiers blessés assis sur les escaliers et des responsables civils s’agitent dans tous les sens. La maison de la culture Taos Amrouche, en pleine centre-ville de Bejaia, faisait penser aux tristes souvenirs du Printemps noir kabyle. Ce lieu de culture devait accueillir un meeting « privé » de Sellal en faveur du candidat Bouteflika. « C’est Kaboul ! C’était un peu plus violent en 2001, mais j’ai l’impression de revivre la même chose  », explique une responsable de la Maison de la culture, devant le wali, venu en fin de journée constater les dégâts.

Il est 18 heures. Les émeutiers viennent d’incendier le salon d’honneur et quelques parties du hall de la maison de la culture. Au passage, ils se sont servis : quelques ordinateurs, selon les agents de sécurité qui évoquent l’utilisation de cocktails Molotov pour déclencher l’incendie. Le feu est rapidement maitrisé. Le sol reste couvert d’eau,  de quelques gouttes de sang et des portraits du président-candidat Abdelaziz Bouteflika. L’accès au hall d’où surgissent de temps à autre des policiers avec un blessé ou un émeutier (parfois des adolescents) arrêté est interdit d’accès est réservé aux policiers, aux secouristes et aux officiels.

Un peu plus loin, à proximité de la seconde entrée de la Maison de la culture, deux policières, habillés en blouses blanches, s’improvisent secouriste pour venir en aide à leurs collègues blessés. À l’extérieur, des agents de la police antiémeute font toujours face aux jeunes émeutiers. « C’est le niveau de la culture politique à Bejaïa ? C’est ça la démocratie ? Si la police n’était pas présente, ils auraient lynché les gens qui étaient présents dans la salle ! », s’énerve un des organisateurs du meeting.

Paradoxalement, personne ne semble avoir anticipé une telle situation. Dans la matinée, à peine quelques dizaines de jeunes dont des étudiants étaient devant la Maison de la culture, portant des affiches et des banderoles contre le quatrième mandat du président Bouteflika. Ils protestaient contre leur exclusion de la rencontre. « S’il y avait une démocratie, pourquoi on aurait eu ces barrières », s’interrogeait Bilal, un doctorant en électronique. « Durant quinze années de règne, Bouteflika n’est jamais venu ici en tant que président », protestait un autre.

Rien ne pouvait laisser penser que les choses allaient dégénérer rapidement et les militants pacifiques se transformer en de violents émeutiers.