Maatkas's Blog
- Publié le dimanche 23 février 2014 11:25
- Écrit par HASSAN TALBI
C’est officiel: alors qu’il peine à terminer dignement le quinquennat en cours, et après avoir échappé illégalement à l’article 88 de la Constitution, Bouteflika est «candidat» à un quatrième mandat. Surprenant ? Non, écœurant. Et honteux pour le pays de Boudiaf, de Abane et de Ben M’hidi.
Voilà donc qui met fin à un faux suspense. Et qui, du coup, enlève tout intérêt électoral au scrutin du 17 avril qui, pour autant, ne sera pas sans conséquences politiques graves pour l’Etat et la Nation. Le chef de l’Etat sortant est plutôt… rentrant. Il n’en a pas fait l’annonce par lui-même. Il n’aurait pas pu le faire, lui qui ose prétendre à gouverner le pays pour cinq ans encore. Le Premier ministre et néanmoins président de la Commission d’organisation des élections présidentielles s’en est chargé, au mépris de la loi, de l’usage, de la bienséance et de l’honneur. Mais cela fait bien longtemps que l’honneur a déserté les couloirs de nos institutions. Preuve en est encore que c’est la plus haute institution de l’Etat qu’est la présidence de la République qui a pris sur elle de confirmer que «M. Bouteflika a fait procéder» au dépôt de sa lettre d’intention et au retrait, auprès du ministère de l’Intérieur et des collectivités locales, des formulaires de souscription de signatures individuelles pour les candidats à l’élection présidentielle. Histoire de banaliser une opération qui relève de l’hérésie, l’APS s’est mise aussitôt de la partie en soulignant que: «avec l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, le nombre de postulants à ce scrutin a atteint la centaine».
La fraude a commencé. La mystification aussi. Ouvertement. Le Premier ministère, la Commission nationale d’organisation des élections et la Présidence y sont impliqués jusqu’au cou. Du jamais vu. Même en Algérie. Naegelen n’aurait pas osé pareille outrance. C’est que la transformation de l’Etat algérien en Sultanat d’Algérie, projet cher à la dynastie bouteflikienne, est à ce prix. Car, il faut en convenir, nous assistons bel et bien, aujourd’hui, à un coup de force dont le but est de concrétiser la phase finale d’une entreprise de confiscation de l’Etat entamée dès avril 1999. Avec les complicités que l’on sait, celles qui ont permis, voire organisé les fraudes de 1999 et de 2004, puis le viol de la constitution en 2008 pour ouvrir la voie au troisième mandat entamé en 2009.
L’urgence aujourd’hui n’est certainement pas de s’interroger sur les causes et les péripéties de cette lente mais fatale dissolution et dislocation institutionnelle, savamment planifiée et résolument mise en œuvre, quinze ans durant, pour faire place nette à la toute-puissance d’une tribu, d’un clan, celle et celui d’Abdelaziz Bouteflika. Les faits sont connus de tous, il ne sert à rien de les rappeler ici. L’urgence n’est pas plus d’épiloguer sur les ratages des uns ou la responsabilité des autres, même s’il faudra, un jour, faire les comptes. Et que certains en rendent. Il faut désormais s’interroger sur la parade à engager pour sauver ce qui peut encore l’être.
Le temps presse et les responsabilités sont immenses. Peut-on encore accompagner ce processus dit électoral jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à une « réélection » de Bouteflika qui, en guise de coup de grâce aux résidus de la République vacillante, triturera ensuite la Constitution pour consacrer juridiquement le Sultanat d’Algérie ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous ne sommes plus, comme en 2008, face à une tentation de légaliser la présidence à vie pour un homme, mais face à une volonté désormais manifeste d’instauration d’un Sultanat dirigé par et pour une famille, un Sultanat qui n’aura rien à envier à celui de Cheikh Kabous Ben Saïd d’Oman.
Une seule riposte : le boycott
Bouteflika « candidat » à un quatrième mandat, cela signifie Bouteflika président pour cinq ans encore à compter d’avril 2014. Si Dieu lui prête vie, comme disent ses partisans. Sinon, il aura lui-même, avant de s’en aller pour un repos éternel à El Alia, désigné son successeur qui usera à son tour de ses pouvoirs éternels de sultan. C’est là, sans aucun doute, le deal convenu après le bras de fer au sommet qui a duré des semaines et qui, par endroits, menaçait de déborder comme jamais auparavant. Un deal qui n’aura étonné personne, les conflits traditionnels d’intérêts entre clans ayant toujours fini, en dernier ressort, par être aplanis pour ne pas mettre en danger les fondements mêmes du système qui, lui-même, est le garant de la pérennité des intérêts des uns et des autres. Il faut savoir raison garder, se disent les clans quand il s’agit de la survie du système. Mais ce sens de la sagesse, ils ne l’ont jamais lorsque c’est l’Algérie qu’ils mettent en péril. Ne leur doit-on pas les morts de 1988 et aussi, au fond, l’enfer des années 90 ?
L’on sait que la naissance d’un sultanat riche en pétrole en Afrique du nord ne dérangerait pas outre mesure les puissances occidentales, bien au contraire. Mais l’on a de fortes raisons de croire qu’une Louisa Hanoune, cette «ennemie farouche de l’ingérence occidentale et de l’impérialisme américain» ne bougera pas le petit doigt même si elle s’est dite, il y a quelques jours, opposée à une candidature par procuration. Mme Hanoune maintiendra donc sa candidature et ira jusqu’au bout de sa logique de soutien à Bouteflika. Après tout, elle est parfaitement dans son rôle, pour une trotskiste déclarée siégeant au Parlement algérien en 2014.
Mais qu’en est-il de cette « centaine » de postulants à la présidentielle que l’APS se plait à évoquer pour nous convaincre que Bouteflika n’est qu’un de ces postulants et que tout est… normal dans le meilleur des mondes ? Beaucoup d’entre eux, sans doute une écrasante majorité, ne passeront pas l’écueil de la collecte des 60.000 signatures, à moins d’un coup de pouce flagrant d’une administration qui n’en serait pas à sa première prouesse du genre. Un coup de pouce dont pourrait bénéficier un Rebaïne, pour ne citer que cet habitué très intéressé des présidentielles. Ceux là seront vite oubliés, à moins de stopper net leurs démarches légales et de renoncer dès maintenant à leur candidature, en le déclarant haut et fort. A défaut, l’histoire retiendra qu’ils auront tout fait pour gagner un piètre rôle de faire-valoir… sans y parvenir. Plutôt humiliant, mais notre pays ne manque pas de gens éhontés. C’est un peu à cause de cette engeance qu’on en est là, après tout. Restent les autres, ceux qui peuvent réellement prétendre à la candidature en toute autonomie, sans l’aide de l’administration. Ceux là peuvent choisir : laisser Bouteflika aller seul au bout de son forfait historique, accompagné par la fidèle Louisa Hanoune, ou prendre une part active au même forfait. Quitte à en être comptable demain. On ne sait pas si l’un ou l’autre d’entre eux est partie prenante ou non du deal convenu entre les clans au pouvoir. Maintenant que Bouteflika est «candidat», l’attitude de chacun d’entre eux sera un indicateur probant quant à leur participation ou non au deal. Tous les prétendants déclarés qui ne se seraient pas retirés de la mascarade en cours seraient suspectés, à juste titre, d’adhésion au clan et à son projet. L’histoire retiendra alors, pour ce qui les concerne, qu’ils auront été, eux aussi, acteurs dans l’avènement du Sultanat d’Algérie. Une seule riposte leur serait salutaire, en même temps qu’elle serait salvatrice pour l’avenir républicain de l’Algérie: le retrait immédiat de leur candidature et leur adhésion au mot d’ordre de boycott. L’heure est au choix, il n’y a point de place à l’indécision.
Hassan Talbi