La corruption n’épargne pas l’ANP.
Pierre Demers, ingénieur canadien :
"Je veux que ça se sache que lorsqu’on dénonce la corruption en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Égypte, dans ces pays là, on se retrouve en prison, par vengeance ou par règlement de comptes."
Le témoignage du québécois Pierre Demers sur la Radio publique canadienne illustre un certain nombre de réalités algériennes. Tout d’abord la corruption est bel et bien présente dans l’ANP (Armée Nationale Populaire). L’armée algérienne n’est pas immunisée contre un fléau généralisé qui érode petit à petit le pays. Ensuite, le fait de dénoncer la corruption est considéré comme un crime de lèse-majesté, comme le prouvent plusieurs affaires ces dernières années. Dénoncer des malversations c’est s’exposer à des poursuites judiciaires. Enfin, les conditions de vie en milieu carcéral témoignent d’un déficit de considération aux droits humains des prisonniers. Bien que Pierre Demers ait semble-t-il été emprisonné dans un carré VIP, il n’a par exemple pas eu de traitement favorable dans les visites de proches au parloir. Au cours de ses 40 mois d’incarcération, l’unique visite de sa fille avait été limitée à 10 minutes maximum!
De quoi s’agit-il dans cette affaire ? Pierre Demers est un ingénieur qui construisait des hangars pour les avions dans des bases militaires algériennes. Sa société ScaTT avait formée un consortium avec la firme d’ingénierie RSW international. Puis des difficultés ont commencées avec ses partenaires d’affaires. Doté d’un caractère assez procédurier, il se plaint par écrit à l’ANP que ses partenaires d’affaires tentent de le doubler dans l’obtention de nouveaux marchés. De même, il rapporte à l’ambassade canadienne ses soupçons d’actes de corruption de la part de RSW International.
En mai 2009 à l’une de ses arrivées à l’aéroport d’Alger, il est arrêté par le DRS (département renseignement et sécurité). Sans avoir été informé du motif d’inculpation, il est mis en prison. Ce n’est qu’après une grève de la faim qu’il apprend faire l’objet d’une accusation de corruption. Le DRS l’accuse d’avoir payé un pot-de-vin au colonel Bouabdallah, l’officier de l’ANP responsable dans l’attribution des contrats de construction de hangars sur les bases militaires.
Malgré ses dénégations, Pierre Demers est condamné à six ans de prison au cours d’un premier procès expéditif. Enfermé d’abord dans une prison à Constantine, il s’y retrouve avec ses coaccusés le colonel Bouabdallah et un homme d’affaires nommé Hamoud Si-Hassen. D’après le témoignage diffusé par Radio Canada, Si-Hassen est aussi un actionnaire de la société ScaTT.
Au procès d’appel, de nouveaux éléments apparaissent. Pierre Demers découvre un contrat signé entre Si-Hassen et Georges Dick, le président de la firme RSW International. Cette dernière a offert une commission de 500 000 $ canadiens à Si-Hassen pour un rôle d’agent commercial. De cette somme, 250 000 $ canadiens de pot-de-vin sont transférés en France au colonel Bouabdallah. Et ensuite RSW s’est faite rembourser la commission surfacturée à partir du consortium avec l’entreprise ScaTT. Malgré les aveux de Hamoud Si-Hassen et du colonel Bouabdallah, ils reconnaissent avoir partagé entre eux la commission sans Pierre Demers, ce dernier est de nouveau condamné à six ans de prison.
A-t-il fait l’objet d’une mesure de grâce à l’occasion du 50ème anniversaire de l’indépendance ? Toujours est-il qu’après quarante mois de prison à Constantine puis Blida, sa détention se termine le 29 août 2012 de façon subite et sans signes annonciateurs. La grâce présidentielle ne concernait pas les deux coaccusés algériens qui sont eux toujours détenus. De son côté, la société RSW International continue de faire des affaires en Algérie.
Entre l’Algérie et le Canada, de multiples dossiers de pot-de-vin ont défrayé la chronique ces dernières années : Sonatrach 2, SNC-Lavalin, etc. Lors de sa dernière visite à Alger en septembre 2013, le ministre des affaires étrangères canadien John Baird affirmait que l’époque de la corruption était désormais révolue. On peut raisonnablement en douter.
Voici l’une des vidéos du témoignage de Pierre Demers.
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