Un combattant touareg : « C’est l’Azawad ou la mort »
Omeyyata Ag Ambery, un jeune combattant du MNLA, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad qui se bat pour l’indépendance de ce territoire, rencontré à Tamanrasset, nous a livré quelques tranches de sa vie.
Il a 25 ans, a fait des études d’architecture puis est entré dans
le « mouvement » aux côtés du plus irréductible des chefs touaregs, Ibrahim Ag Bahanga. A Kidal, il a été témoin de l’enlèvement des deux journalistes de RFI avant qu’ils ne soient assassinés.
Il a grandi dans le milieu de la rébellion. Toute sa famille était dans le maquis. Il raconte :
« Au début, ça me plaisait juste d’avoir une arme. C’est après que j’ai compris la cause. »
Omeyyata allume une cigarette. Il montre sa photo en tenue de combat,
le regard grave, le drapeau de l’Azawad perché sur son arme a servi
maintes fois d’effigie au MNLA depuis 2012. Pourtant, rien en lui
n’inspire la violence.
« Automatiquement, tu deviens rebelle »
Né à Kidal, capitale du Nord-Mali, dans une famille d’intellectuels,
il est comme ces milliers de jeunes « diplômés chômeurs », qui rêvaient
de faire quelque chose pour leur communauté.
Quand la rébellion éclate en 2006, il était en train de faire des
études d’architecture à Bamako. Là, il ne se sentait pas considéré :
« On te traite de rebelle même quand tu n’as rien fait. Automatiquement, tu deviens rebelle. »
Le non-respect des accords d’Alger
signés en juillet 2006, et qui promettaient le développement de la
région du Nord-Mali, débouche sur une autre insurrection, en 2007. Il
participe alors au mouvement, sous le commandement d’Ibrahim Ag Bahanga.
Omeyyata à Tamanrasset, en Algérie (Omeyyata Ag Ambery)
« Un soldat m’a juré qu’il allait déserter »
Ibrahim Ag Bahanga, « le plus radical des chefs touaregs », évoluait en marge des divers accords de paix, convaincu que le gouvernement malien ne respecterait jamais ses engagements.
Sous son commandement, Omeyyata entrevoit les vrais enjeux de la
cause touarègue. Un des épisodes les plus marquants est la prise en
otages de centaines de soldats maliens. Omeyyata est chargé de les
surveiller :
« Ibrahim les traitait de manière impeccable. Il y avait
des jeunes gens parmi nous qui étaient toujours furieux, prêts à tuer,
ils avaient perdu des frères, mais il y avait toujours ce leader qui les
empêchait de déraper.
C’était facile de tuer les otages, mais on pensait toujours au
lendemain : si nous sommes aussi faits prisonniers par l’armée malienne,
il faut qu’on traite bien nos otages pour qu’on puisse les échanger. »
Pendant leur captivité, les otages maliens sont entrés pour la
première fois en contact avec les Touaregs dans l’intimité du désert.
Certains ont commencé à douter de l’armée malienne qui les laissait pour
compte, et à se demander pourquoi ils combattaient :
« Je me rappelle d’un soldat qui m’a juré qu’il allait
déserter. On leur dit d’attaquer des bandits armés, des trafiquants de
drogue, mais quand ils viennent causer avec nous, et qu’on leur explique
tous nos problèmes et pourquoi on combat, ils comprennent facilement.
Nous avons une cause. Moi ce n’est pas vivre toute ma vie avec une
kalachnikov qui me plaît, je veux avoir un bon avenir, un futur
joyeux. »
Interview d’Omeyyata sur les otages maliens
Le glissement vers le terrorisme
Exilé en Libye, Bahanga meurt dans un accident de voiture en
2011 alors qu’il projette avec le MNLA de ramener des armes de Libye. L’attaque de janvier 2012
menée par les indépendantistes touaregs contre les bases maliennes sera
une victoire explosive. Mais entre-temps, les islamistes se sont déjà
propagés partout. Oumeyatta participe à l’offensive.
Il vit simultanément le plus beau jour de sa vie et son pire
cauchemar, avec la déclaration de l’indépendance de l’Azawad en avril
2012. Mais la trahison d’Iyad Ag Ghali, qui proclame en même temps un
Etat islamiste, plonge le MNLA dans le chaos. Le monde découvre alors
l’importance de l’islamisme dans cette région, avec la présence de
nombreux autres groupes. Pour Omeyyata, ce n’est pas nouveau :
« On a commencé à voir des véhicules d’Aqmi [Al Qaeda au
Maghreb islamique, ndlr] vers 2004. Au début, on ne savait pas d’où ils
venaient, mais après on a compris qu’ils venaient d’Algérie et
s’implantaient chez nous. »
Le recrutement se fait chez les nomades, qui connaissent mal l’arabe
et le Coran. Le chômage fait rage dans la région. Chaque nouvelle recrue
est rémunérée. Mais le pire est à venir avec la naissance du groupe
islamiste Ansar Dine en 2012, dirigé par Iyad Ag Ghali, héros de la rébellion touarègue.
« Iyad était un chef de la rébellion de 1990, de celle
de 2006, puis a été relegué au rang de simple soldat par Bahanga. C’est
pour handicaper le MNLA qu’il a créé Ansar Dine. Les combattants
indépendantistes fidèles à Iyad ont cru à une stratégie, ils n’ont pas
cru que ça irait si loin. Mais actuellement, Iyad les a menés au
terrorisme. »
Chez Ansar Dine, où il compte beaucoup d’amis, les gens ont été « piégés » :
« Tu ne peux pas déserter. Si tu désertes, tu dois trouver une protection auprès du MNLA. »
Interview d’Omeyatta sur l »enrolement
La Minusma ne boit que de l’eau minérale
Depuis l’application de l’accord-cadre de Ouagadougou en juillet 2013, l’armée malienne et les groupes armés touaregs sont cantonnés chacun dans leur caserne à Kidal.
Malgré la présence de la mission Serval et des forces onusiennes de
la Minusma, deux journalistes de RFI ont été assassinés à une dizaine de
kilomètres de la ville. Ils sortaient d’une interview avec Ambery Ag Rhissa, le père d’Omeyyata.
Interrogé par les services français, alors qu’il a poursuivi le véhicule avec les deux journalistes, il déclare :
« J’ai agi car cela s’est passé devant ma propre maison.
Si c’était au marché, je n’allais même pas bouger ! Si je n’avais pas
fait ça, la Minusma allait passer au moins deux jours dans le désert
avant de localiser les ravisseurs… Mais les Touaregs sont habitués : la
France n’est jamais reconnaissante ! »
Le MNLA a été mis en cause dans cette affaire choquante dont
l’enquête continue. Le propriétaire du véhicule était un touareg, mais
affilié à Aqmi.
« C’est facile d’accuser toujours le MNLA et
lesTouaregs, mais celle qui tient les check points à Kidal, c’est la
Minusma. Et qu’est-ce-qu’elle fait la Minusma à part boire de l’eau
minérale ? »
Une manifestation pacifiste
organisée à Kidal a tourné au bain de sang : l’armée malienne a tiré
sur la foule, blessant des enfants et tuant une femme. Omeyyata attend
le déroulement pour savoir s’il va retourner au front.
« C’est l’Azawad ou la mort. »
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